« Il est des jours dont on sait qu’on ne les oubliera jamais. » Visiblement très ému, le député centriste Olivier Falorni voyait dans l’approbation par l’Assemblée nationale d’un « droit à l’aide à mourir », le 27 mai dernier, un « moment historique ». Sur son compte X, le rapporteur de ladite proposition de loi saluait ainsi une « très grande avancée républicaine car elle porte en son cœur la liberté, l’égalité et la fraternité ». Une satisfaction partagée par une grande partie de la classe politique, de la ministre de la Santé Catherine Vautrin, issue de la droite, aux leaders de gauche Jean-Luc Mélenchon et Marine Tondelier, en passant par Emmanuel Macron lui-même, qui saluait aussitôt, ce jour-là, « une étape importante » vers un « chemin de fraternité ».
Unanimité ? Pas exactement. Car si la plupart des élus Républicains et Rassemblement National se sont, sans surprise, opposés au texte, il est une autre voix qui prend de l’ampleur depuis quelques mois : celle des associations de lutte pour les droits des personnes handicapées.
Longtemps invisibilisées, les nombreuses objections des militantes et militants antivalidistes complexifient ainsi un débat qui semblait jusqu’ici se résumer à une équation binaire : d’un côté, une gauche « progressiste » plébiscitant un « nouveau droit » dans la continuité d’autres conquêtes (IVG, mariage pour tous, PMA pour toutes…) ; de l’autre, une droite « conservatrice » réfutant, pour des motifs religieux ou moraux, toute évolution sur le sujet. Un tableau trompeur, estiment plusieurs collectifs comme Les Dévalideuses, Handi-social, Jusqu’au bout solidaires ou le Collectif Lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation. Défendant une approche « matérialiste » plutôt que spirituelle (voir l’encadré ci-contre), ces derniers craignent que le nouveau texte brasse suffisamment large pour convaincre certains malades – non seulement handicapés mais aussi précaires, discriminés ou se sentant comme « un poids » pour la société – de se tourner vers une fin de vie anticipée. Au point d’entériner, avancent certains, une résurgence de l’eugénisme, ce mouvement obsédé par la « sélection » des corps et des esprits revendiqués « performants », né au début du XXème siècle aux États-Unis.
La référence est évidemment balayée par les défenseurs de la loi, au premier rang desquels Olivier Falorni lui-même. Lequel rappelle que cinq conditions « strictes » sont prévues par le texte pour accéder à « l’aide à mourir » : être majeur ; être français ou résident étranger en France ; être atteint d’une affection grave et incurable engageant le pronostic vital « en phase avancée ou terminale » ; « présenter une souffrance physique ou psychologique constante réfractaire aux traitements ou insupportable » ; et enfin « être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée ». « Ce texte ne concerne pas les personnes handicapées, on parle de personnes malades condamnées par la maladie », explique auprès d’Usbek & Rica l’élu de Charente-Maritime.
Mais pour certains collectifs antivalidistes, si le mot « handicap » n’est pas directement prononcé dans ces nouveaux critères d’accès, seront d’abord visées les personnes ayant des affections graves et incurables… dont découlent le handicap. « Moi par exemple, je corresponds totalement à ces critères, alors que je ne suis pas en fin de vie », nous affirme par téléphone Odile Maurin, présidente de l’association Handi-Social, elle-même autiste et se déplaçant en fauteuil roulant électrique du fait d’une maladie génétique rare qui lui occasionne des souffrances physiques (syndrome d’Ehlers-Danlos).
Même constat pour Charlotte Puiseux, psychologue et docteure en philosophie, atteinte d’amyotrophie spinale (SMA). D’un « naturel optimiste », l’autrice de l’ouvrage De chair et de fer (éditions La Découverte) dit craindre « avant tout pour d’autres dans la même situation [qu’elle] » et traversant des périodes « compliquées », qui les pousseraient à se tourner vers la procédure ouverte par la proposition de loi.
Source : www.usbeketrica.com